Bernard Valéro sur le blog "Ainsi-va-le-monde.blogspot.fr" [es]

Entretien du porte-parole du ministère des Affaires étrangères sur le blog "Ainsi-va-le-monde.blogspot.fr

(Paris, 1er juin 2012)

Q - Si beaucoup d’observateurs parlent d’un échec, comment le diplomate juge-t-il cette intervention française en Afghanistan, qui a tué beaucoup d’hommes pour guère de résultats ?

R - Tout d’abord, le diplomate que je suis pense aux 83 militaires français qui sont tombés en Afghanistan depuis 2001, et à leurs familles. Ces soldats ont donné leur vie pour une cause noble, pour une cause juste : combattre le terrorisme, défendre la paix et la liberté. Le président a redit avec force la reconnaissance de la Nation tout entière pour leur sacrifice. Comment peut-on dire qu’il n’y a guère de résultats ? Grâce à l’action de la communauté internationale, aux côtés des autorités afghanes, 7 millions d’enfants ont été scolarisés, dont près de 3 millions de filles, chiffres inédits dans l’histoire afghane. La demande de scolarisation est désormais très élevée dans toutes les couches de la société afghane et dans toutes les régions. Dans le domaine de la santé, 82 % de la population a désormais accès à un centre de santé et la couverture vaccinale est établie à 60 %. Le pays jouit d’une croissance économique forte, avec plus de 8 % par an au cours des dernières années. Le secteur agricole a fait des progrès. Le pays compte désormais plus de 13.000 km de routes asphaltées, ou réhabilitées, contre une cinquantaine de km de routes praticables en 2001. L’électrification et les télécommunications ont fait de grands progrès à Kaboul comme en province. Tout ceci, ce n’est pas rien !

Au plan diplomatique, la France va continuer à prendre toute sa part à l’effort de la communauté internationale pour continuer d’épauler l’Afghanistan. Je pense en particulier aux conférences internationales qui approchent : à Kaboul le 14 juin prochain sur la coopération régionale, et à Tokyo le 8 juillet sur la reconstruction et le développement, autant de rencontres internationales à l’occasion desquelles la France sera mobilisée, avec ses partenaires, pour faire avancer l’Afghanistan dans la bonne direction. Concernant la sécurité, la menace terroriste n’a certes pas totalement disparu, mais elle a été en grande partie jugulée par les efforts des forces de la coalition et, progressivement, par les forces de sécurité afghanes. C’est à ces dernières de prendre le relai et d’assurer désormais la sécurité et la protection de leur pays. C’est une question de souveraineté et de responsabilité. Arriver à ce point a été possible grâce à l’action de nos soldats, grâce à leur courage, grâce à leur professionnalisme.

Comme l’a dit le président de la République aux militaires français à Nijrab, « Dans chaque ligne de notre traité d’amitié avec l’Afghanistan, dans chaque action de coopération programmée, à travers chaque enfant qui apprendra notre langue dans les lycées français de Kaboul, dans les nouvelles écoles de Kapisa, chaque fois qu’une femme, un homme sera en sécurité dans ce pays, il subsistera quelque chose de votre courage, quelque chose de votre humanité, quelque chose aussi de la vie de vos camarades tombés au combat. » Tout ceci n’est certainement pas vain.

Q - Lorsque l’ISAF aura quitté l’Afghanistan, ne craignez-vous pas que les Afghans qui ont travaillé avec les Occidentaux ne soient massacrés ?

R - Tout d’abord, vous le savez, si nous engageons cette transition, c’est pour permettre à l’armée et à la police afghanes d’assurer la sécurité de leur territoire et la protection de leurs citoyens. Le scénario que vous décrivez, que ce soit concernant les Afghans qui ont travaillé avec les armées de la coalition ou tous les Afghans, ne doit donc pas se produire.

S’agissant spécifiquement des Afghans ayant travaillé avec les forces françaises, nous avons naturellement développé un lien avec eux, et eux avec la France. Ils occupent des emplois et effectuent des tâches indispensables pour la réussite de notre mission : ils assurent la traduction, le contact avec la population locale, mais aussi aident à la logistique, au ravitaillement etc. Ils contribuent ainsi à la sécurisation et à la reconstruction de leur pays, ce sont de vrais patriotes. Nous serons très attentifs à leur avenir, et la France reste à leurs côtés pour l’avenir du pays.

Q - Face à l’échec de l’ONU en Syrie faut-il remettre en cause son fonctionnement né des cendres de la Seconde Guerre mondiale ?

R - Au contraire, la crise syrienne montre à quel point le monde a besoin d’une organisation comme l’ONU, d’une instance comme le Conseil de sécurité. L’ONU et le Conseil de sécurité des Nations unies sont pour nous des éléments essentiels d’action en faveur de la paix et de la sécurité ; ils sont au cœur du système multilatéral. Le Conseil de sécurité reste la seule instance légitime pour autoriser des mesures coercitives internationales et ainsi tout faire pour préserver la paix dans le monde. Sur la Syrie, alors que des massacres sont commis quotidiennement par le régime de Bachar el-Assad, il doit faire preuve de la plus grande des fermetés. Nous travaillons avec nos partenaires dans ce sens.

Q - En Syrie, l’option militaire est-elle toujours « tabou » ?

R - Aujourd’hui en Syrie, le régime assassin de Damas enfonce le pays dans une terrifiante spirale de violence et devient une menace pour la stabilité et la sécurité régionales. Dans ce contexte dramatique, le plan de M. Kofi Annan, endossé par la résolution 2042 du Conseil de sécurité, offre une dernière chance de mettre fin au déchainement de violence et d’enclencher un processus de transition politique. La France soutient le plan de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, sans s’interdire aucune option pour mettre un terme à la crise, dans le cadre du Conseil de sécurité. Avec tous nos partenaires, nous menons tous les efforts pour mobiliser la communauté internationale, que ce soit à New York au Conseil de sécurité de l’ONU qui s’est réuni une nouvelle fois le 30 mai, à Genève où le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU tient aujourd’hui même, le 1er juin, une session spéciale sur la situation en Syrie. Nous préparons par ailleurs activement la tenue à Paris de la conférence des pays amis du peuple syrien.

Q - Pourquoi avoir attendu pour expulser l’ambassadrice de Syrie en France ?

R - Il ne s’agit pas d’avoir attendu ou non : ce qui compte, c’est que cette décision de déclarer Mme Chakkour persona non grata est une décision forte qui a été prise suite au massacre odieux commis à Houla, par les forces syriennes. Elle est également motivée par l’escalade de la répression sanglante menée depuis plus de quatorze mois par le régime de Bachar al-Assad, en violation du cessez-le-feu décidé par le Conseil de sécurité des Nations unies et en contradiction flagrante avec le plan de l’envoyé spécial conjoint des Nations unies et de la Ligue arabe, M. Kofi Annan. Je vous rappelle par ailleurs que nous avons rappelé notre ambassadeur à Damas le 7 février dernier pour protester contre la répression. Ces gestes sont des gestes diplomatiques forts, qui s’inscrivent dans le cadre de notre action constante pour mobiliser la communauté internationale sur le drame syrien.

Q - Vladimir Poutine est en France, ce soir. Quel langage lui parler ?

R - La Syrie sera bien entendu évoquée lors des entretiens aujourd’hui à l’Élysée entre les présidents français et russe. De façon générale, la Russie est un acteur majeur sur la scène internationale. C’est un partenaire avec lequel nos relations portent, dans tous les domaines, sur des enjeux majeurs. S’agissant de la Syrie, il est important de travailler avec ce pays dans le cadre des efforts que nous intensifions actuellement pour mobiliser la communauté internationale afin de faire cesser la violence en Syrie./.

Dernière modification le 04/06/2012

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